Sorti en 2022 et présenté au Festival de Cannes dans la section ACID, « 99 Moons » est un film suisse qui bouscule les conventions du genre romantique classique. Réalisé par Jan Gassmann, ce long métrage propose une plongée audacieuse dans une relation aussi intense que tumultueuse entre deux individus que tout oppose en apparence. Bigna, une brillante et méthodique scientifique de 28 ans, vit sous le contrôle strict de ses émotions et de son univers, tandis que Frank, 33 ans, erre dans un quotidien flou, cherchant à s’ancrer à travers des relations passionnelles mais désordonnées. Cette œuvre se distingue par sa capacité à explorer la complexité de l’intimité amoureuse sur plusieurs années, offrant une approche douce-amère et réaliste sur la quête d’amour, la liberté, et les contradictions internes à chaque membre du couple.
Au-delà de simples clichés romantiques, « 99 Moons » dépeint un parcours d’obsession, dominé par le besoin de contrôle et de lâcher-prise, mêlant des scènes de forte intensité physique à une psychologie fouillée de ses protagonistes. Le film s’écarte délibérément des narrations hollywoodiennes classiques pour privilégier un style contemplatif et fragmenté, qui se déroule sur huit années, sans jamais préciser clairement la chronologie, ce qui renforce le sentiment d’ambiguïté et de flottement dans la vie des personnages. L’œuvre interroge également le spectateur sur la nature même des relations humaines à l’ère contemporaine, sur le pouvoir, la liberté, et les effets parfois destructeurs de l’obsession amoureuse.
Exploration approfondie des personnages principaux du film « 99 Moons »
Au cœur de « 99 Moons » se trouve une dichotomie fascinante entre deux personnalités complexes : Bigna et Frank. Bigna, interprétée avec intensité par Valentina Di Pace, est une scientifique spécialisée dans l’étude des tsunamis et des séismes, un domaine exigeant rigueur et contrôle, qualités qu’elle transpose à sa vie personnelle. Sa vie sexuelle est particulièrement énigmatique et marquée par des jeux de rôle où elle prend plaisir à dominer et à mettre en scène des situations où elle simule des agressions, un comportement qui semble paradoxal aux premières loges, mais révèle une profonde exploration psychologique de ses désirs et de ses peurs.
Frank, joué par Dominik Fellmann, tranchant dans son apparence avec des tatouages visibles et une aura plus désordonnée, évolue dans un univers moins stable et plus incertain, oscillant entre travail en nocturne et emplois précaires comme serveur. Sa quête consiste à trouver un sens dans son existence souvent marquée par la dépendance affective. Cette opposition entre une femme en quête de contrôle et un homme en quête d’ancrage offre une dynamique sous-jacente au film, où attraction, répulsion, domination et soumission se mêlent pour créer une relation aussi magnétique que destructrice.
L’interprétation des deux comédiens n’est pas sans prendre des risques, notamment en affichant un réalisme cru dans plusieurs scènes nues où la vulnérabilité et la crudité de la passion sont exposées sans filtre, apportant une dimension pudique et sincère malgré la nudité apparente. Ce réalisme, souvent salué par les critiques, est d’autant plus remarquable que les acteurs sont novices et s’investissent pleinement dans un scénario qui explore des terrains souvent peu abordés par le cinéma grand public.
La construction du récit en six chapitres successifs ajoute à la profondeur psychologique des personnages, chaque segment présentant une facette différente de leur vie commune – entre intimité, malentendus, chercheurs de sens et tentatives de fuite. Cette forme éclatée reflète la réalité fragmentée de leurs émotions sur plusieurs années, renforçant la sensation d’un amour intense et complexe défiant le modèle classique du couple hétérosexuel.
Un regard singulier sur la représentation de la sexualité et du pouvoir dans « 99 Moons »
« 99 Moons » ne se contente pas d’être un drame sentimental classique ; il crée une atmosphère dérangeante où sexualité rime avec contrôle, liberté et parfois violence symbolique. L’intimité entre Bigna et Frank se manifeste souvent par des jeux de domination qui ne visent pas seulement le plaisir sexuel mais également une forme de communication et d’expression plus profonde des tensions entre les deux. Ce traitement libère la sexualité du cadre habituel, la rendant à la fois source de plaisir, mais aussi d’angoisse et de mystère.
Le film choisit d’asseoir cette relation dans une méta-réalité où les scènes de sexe sont fréquentes et souvent explicites, mais jamais gratuites. Chaque interaction apparaît comme une tentative d’installer un dialogue sous-jacent sur le pouvoir dans la relation amoureuse. Par exemple, la fameuse scène d’introduction dans un tunnel où Bigna simule une agression sexuelle devient un rite érotique, une mise en scène où son personnage exerce un contrôle total sur la dynamique émotionnelle.
Cette approche a suscité des débats passionnés entre spectateurs et critiques, entre ceux qui voient dans « 99 Moons » une expression artistique ouverte et audacieuse, et d’autres plus choqués par son registre explicite et ses scènes parfois déroutantes. Ce contraste souligne la capacité du film à ne laisser personne indifférent et à ouvrir un dialogue autour des relations humaines contemporaine, encore trop souvent vécues dans une zone grise, mal comprise ou taboue.
La thématique du pouvoir, qui traverse chaque interaction, questionne aussi les enjeux de domination dans la vie quotidienne et dans les relations de couple qui peuvent passer inaperçues tout en étant omniprésentes. En 2025, avec une société plus consciente des dynamiques de genre et des frontières de la vie intime, ce film prend une dimension encore plus pertinente, car il interroge frontalement les rapports de force qui guident nos désirs et nos choix amoureux.
L’évolution narrative du film : une chronique non linéaire d’une relation obsessionnelle
Jan Gassmann a fait le choix narratif d’un récit éclaté pour « 99 Moons », afin de casser les schémas linéaires traditionnels et immerger le spectateur dans une temporalité morcelée, parfois déroutante. Le film suit la relation entre Bigna et Frank sur huit années, mais le spectateur ne sait jamais précisément quand une scène se déroule, créant un effet de flottement et d’inattendu. Cette fragmentation reflète le caractère obsessionnel et chaotique de leur amour, qui transcende le temps.
Ce choix participe également à la trame thématique générale : esclaves et maîtres de leurs pulsions, protagonistes hantés par des désirs contradictoires, ils s’accrochent l’un à l’autre comme à un refuge instable. L’histoire est ainsi une chronique intime qui se veut une introspection sans filtre, conçue comme une série de vignettes, d’instants fugitifs, au cœur d’un couple obsédé par sa propre intensité.
Par ailleurs, le film ancre parfois son propos dans des décors contrastés, entre la froideur presque clinique des laboratoires et la brutalité symbolique des parkings ou tunnels, où se déroulent les scènes les plus marquantes. Ces espaces urbains et décadents incarnent à la fois la distanciation et la vulnérabilité, lieu où les passions se déchaînent et où le pouvoir s’échange.
Cependant, cette narration non linéaire et énigmatique ne fait pas l’unanimité. Pour certains, elle rend le récit difficile à suivre et accroît la sensation d’errance et de flottement, mais elle incite aussi les spectateurs à s’interroger sur la nature cyclique des émotions humaines, où périodes fertiles et périodes de chaos s’entremêlent et créent une forme d’équilibre précaire.
Le rôle du réalisateur Jan Gassmann dans la singularité artistique de « 99 Moons »
Jan Gassmann se distingue comme un réalisateur à la croisée des genres entre fiction et documentaire. Avant « 99 Moons », il avait déjà exploré la complexité des relations humaines à travers des œuvres comme « Europe, She Loves » en 2016, où l’intimité de couples en marge de l’Europe était rivée avec tendresse et réalisme. « 99 Moons » marque un tournant dans sa carrière avec ce premier long-métrage de fiction, tout en conservant cet œil documentaire qui scrute la vérité intérieure de ses personnages.
Formé à la HFF Munich, Gassmann est reconnu pour sa capacité à mixer authenticité et esthétique cinématographique, donnant à ses films une profondeur rare. Cette sensibilité transparaît dans « 99 Moons », notamment dans sa volonté d’évoquer sans artifice l’ambiguïté des désirs et des luttes intimes. Le film a ainsi été sélectionné et salué dans plus de 25 territoires, preuve de son impact et de son universalité.
Gassmann, en collaboration avec des producteurs comme Zodiac Pictures, a su insuffler une tonalité unique, évitant les clichés hollywoodiens pour privilégier des dialogues mesurés, des plans longs et une ambiance sonore subtile. Il questionne la norme hétérosexuelle et explore une géographie sentimentale où liberté et contraintes cohabitent, s’opposent et s’entrelacent. Ce regard innovant pousse à la réflexion autour de la définition même du couple aujourd’hui.
En s’adressant à un public qui recherche plus qu’une romance traditionnelle, avec une distribution qui inclut Canal+, MK2 et Wild Bunch pour la distribution, « 99 Moons » trouve également une place dans les programmations d’Arte et des festivals indépendants, échappant ainsi aux circuits mainstream de Netflix ou Gaumont, tout en suscitant une grande curiosité. Son parcours témoigne d’un cinéma qui ose, invente et bouscule.
Les multiples dimensions culturelles et symboliques de « 99 Moons » dans le paysage cinématographique actuel
Au-delà de son intrigue, « 99 Moons » se révèle être une œuvre dense et polysémique qui questionne notre époque à travers la symbolique des lunes. Le titre fait référence aux 99 cycles lunaires que s’étendent sur les huit années documentées, symbolisant à la fois le temps, la transformation et l’imprévisibilité des émotions humaines. Cette métaphore lunaire est un fil rouge qui structure le film tout au long de ses séquences.
L’utilisation de la lune comme symbole dans le cinéma n’est pas nouvelle, mais ici elle est exploitée avec subtilité pour évoquer la multiplicité des phases, semblables aux phases du couple et de l’individu. La lune, source de lumière dans l’obscurité, rappelle les contrastes de la relation entre Bigna et Frank : attirance et répulsion, pouvoir et vulnérabilité, contrôle et lâcher-prise. Cela confère à l’œuvre une profondeur poétique et mystérieuse, tout en appuyant son réalisme cru.
Par ailleurs, la dimension suisse et européenne du film, avec ses paysages urbains froids et ses forêts enneigées, offre un cadre original et atypique peu exploité dans le cinéma contemporain. Ces décors participent à renforcer le ressenti d’isolement et de dualité des personnages, en phase avec les enjeux narratifs et émotionnels. Cette alliance entre naturalisme et théâtralité donne à « 99 Moons » une esthétique propre, à la fois dure et fragile.
La réception du film en 2025 demeure singulière, un succès critique marqué mais un peu en marge des blockbusters dominants produits par Pathé, UGC ou encore Gaumont. Il reste une pépite au sein d’une offre cinématographique souvent normalisée, qui dialogue avec un public avide d’expériences nouvelles et exigeantes. Par son approche originale, ses sujets sensibles et sa maîtrise artistique, « 99 Moons » s’inscrit donc dans une mouvance de films indépendants qui privilégient la profondeur émotionnelle et la réflexion sur les relations amoureuses, un thème toujours universel et jamais épuisé.
Quel est le thème principal du film « 99 Moons » ?
Le thème central est l’exploration d’une relation amoureuse intense et obsessionnelle, mêlant contrôle, sexualité et quête de liberté sur plusieurs années.
Qui est derrière la réalisation du film ?
Jan Gassmann est le réalisateur, reconnu pour ses œuvres mêlant fiction et documentaire, explorant la complexité des relations humaines.
Quelle est la particularité narrative de « 99 Moons » ?
Le film adopte une narration non linéaire, découpée en plusieurs chapitres sur plusieurs années sans indiquer précisément la chronologie.
Où peut-on visionner « 99 Moons » ?
Il est disponible sur des plateformes indépendantes ainsi que dans certains réseaux de cinéma comme MK2, et fait partie des programmations d’Arte et festivals spécialisés.
Quel est le message porté par le film ?
Il propose une réflexion sur la liberté, le contrôle dans les relations amoureuses, et la complexité des désirs humains au-delà des normes établies.